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Les pré-tests publicitaires sont condamnés à mourir ou à se réinventer !

Le digital a bouleversé les pratiques des marques sur les enjeux de communication, c’est une évidence. Mais il a aussi imposé des réflexes et la culture du « test and learn », qui tue à petit feu celle du pré-test. Ce mode opératoire présente un avantage indéniable : celui d’être compatible avec
l’exigence du fonctionnement en temps réel qui s’impose aujourd’hui aux entreprises. Mais est-il vraiment le meilleur pour aider les marques à se construire via des communications fortes ? Le fondateur d’Impact Mémoire Bruno Poyet, nous fait partager sa vision et, à la clé, sa conviction
d’une nécessaire réinvention des pré-tests publicitaires.

MRNews : Vous dirigez un institut spécialiste des tests de communication, dont l’approche bien spécifique s’appuie sur les sciences cognitives… Avez-vous le sentiment que les besoins
des annonceurs sur ces enjeux d’études de communication ont fortement évolué sur ces dernières années ? Quelles tendances vous semblent les plus marquantes ?

Bruno Poyet (Impact mémoire) : Du côté des annonceurs, on observe des cycles, avec des périodes plus ou moins favorables aux pré-tests, aux posts tests ou aux tracking. Je pense néanmoins que le marché du pré-test classique a un peu rétréci. Le pré-test des films TV demeure un domaine à part, avec un volume substantiel d’études. Mais le réflexe du pré-test s’est globalement amoindri avec la formidable montée en puissance du digital et des Google ou des Facebook. Ces acteurs proposent des services clés en main, avec des études dont la valeur peut se discuter, mais qui ont l’avantage d’apporter des données en temps réel. La culture du « test and learn » s’est fortement diffusée, et les annonceurs sont de moins en moins prêts à passer des heures pour analyser des résultats d’études. Ils veulent pouvoir prendre des décisions le plus immédiatement possible.

Percevez-vous des évolutions marquantes concernant les stratégies des marques et la performance de leurs communications ?
Les annonceurs ont dans leur grande majorité bien intégré le fait que, pour construire une marque, la TV reste le vecteur prioritaire. Il est clairement le meilleur pour générer une empreinte mémorielle durable, la force d’une marque se mesurant précisément dans sa capacité à construire une accumulation de souvenirs dans la tête des gens. La communication digitale présente bien sûr des avantages, mais elle a aussi ses limites, largement induites par des effets de contexte : le récepteur est en attente d’immédiateté, et ce n’est donc pas le bon moment pour lui raconter des histoires si vous me permettez l’expression. La tendance côté annonceurs consiste ainsi à utiliser le média TV pour faire passer des messages de fond en travaillant beaucoup sur le registre des émotions, le digital ayant lui plus vocation à adresser des éléments plus simples, plus directs.

Revenons aux études… Le mode opératoire du test and learn se diffuse. Mais est-il pour autant l’alpha et l’oméga pour optimiser l’efficacité des communications des marques ?
L’AB-testing et le test and learn sont de très bonnes démarches pour booster des taux de clics. Mais la limite est que cela s’inscrit dans un travail de surface. On se focalise sur l’attention automatique du consommateur, sur des effets de surprise et plus largement sur des ingrédients qui peuvent aider à grignoter des points précieux par rapport aux concurrents. Mais on ne construit pas…

Que doivent donc faire les annonceurs lorsqu’ils souhaitent construire une marque dans la durée ?
Un point de passage obligé est de susciter une attention qui ne soit pas superficielle, en s’appuyant sur une certaine façon de raconter des histoires et de faire ainsi entrer les gens dans un univers donné. Cela demande un travail d’écriture bien particulier, qui mérite à mon sens bien plus d’efforts
que cela n’est fait en général. Lorsqu’on est au stade du script, à partir du moment où l’on a une idée, il est important de la décliner très vite selon les formats que l’on pense devoir utiliser. Avec la TV, le digital sous ces différentes formes, on ne peut pas raconter l’histoire de la marque de la même manière. Il faut donc adapter son script à chacun de ces formats et bien définir le plan média en conséquence, en effectuant les arbitrages les plus pertinents.

Il y a un enjeu essentiel en amont de l’élaboration des messages, qui n’est pas toujours bien pris en compte…
Oui, tout à fait. Tant que l’on ne s’est pas donné la certitude de pouvoir créer du souvenir dans l’esprit du public, il faut retravailler la copie. Il est illusoire de penser pouvoir améliorer substantiellement cette mécanique après que la réalisation ait été effectuée. Des gains seront possibles, mais ils ne seront que marginaux. Il faut donc tester idéalement avant la réalisation, pour s’assurer de partir sur une base solide ; ce qui n’empêche absolument pas de procéder à de l’ABtesting en aval, pour optimiser encore ce qui peut l’être. La nouvelle génération est beaucoup dans le test and learn, elle aurait beaucoup à gagner à intégrer cette culture du test en amont, au moment de la création de l’idée première. Cette phase-là est toujours délicate, il n’est pas si simple d’avoir le recul nécessaire…

Vous l’évoquiez tout à l’heure : le pré-test est-il vraiment compatible avec les exigences d’aujourd’hui, et en particulier avec le rythme de fonctionnement des entreprises ?
Je suis d’accord avec ça, le timing selon lequel fonctionnent les marques oblige à ré-inventer le prétest. Élaborer le questionnaire qui va bien, bloquer du temps pour les interviews, passer des heures à analyser des datas en masse pour espérer en dégager des pistes claires pour action … Non, ces process ne sont plus adaptés, c’est trop long, trop complexe, pas assez réactif ! On peut pré-tester autrement, en s’appuyant en particulier sur les outils issus des neurosciences et des sciences cognitives, mais aussi sur l’expertise humaine qui leur est associée…

C’est là où votre savoir-faire a sa place …
Oui, avec un certain parti-pris. Là où d’autres utilisent des mesures physiologiques comme l’eyetracking ou le facial-coding, nous avons fait le choix d’élaborer une grille de diagnostic des communications fondée sur les learnings des neurosciences. Ce que nous apportons aux annonceurs, c’est notre connaissance du fonctionnement du cerveau humain et de la mémoire, et notre capacité à spécifier quels ingrédients doivent être modifiés en fonction du format et du contexte de réception du message. Le terme d’ingrédients me parait approprié, parce qu’on est un peu dans la
recette de cuisine dans cette phase de construction du message. Il faut de l’attention, de l’émotion, de l’implicite, de l’explicite…et les utiliser à bon escient, avec le bon dosage.

Quelle place doit-on donner aux normes dans cette réinvention du pré-test ? Celles-ci ne finissent -elles pas par brider la créativité des marques et in fine l’efficacité de leurs communications ?
Le besoin des annonceurs de s’appuyer sur des normes est parfaitement compréhensible. Pour décider du go / no-go, la marque doit savoir si sa copie est dans le vert clair ou plutôt dans le rouge. Mais dans le contexte d’aujourd’hui, avec la diversification des formats et des supports, il est de
moins en moins évident de caler ces normes. Et en effet, il me semble que l’excès de normes tend à lisser les communications. À force d’essayer de plaire, on ne séduit pas. Alors que pour construire des marques fortes, il faut aller chercher de la différenciation, de l’originalité, et prendre des risques ! Ma conviction est qu’il est préférable de ne pas s’enfermer dans ces normes. Il me semble plus pertinent de s’appuyer sur les repères permettant de savoir si l’on réunit les bons ingrédients, si les leviers sont bien en place et lesquels optimiser si cela s’avère nécessaire.

La célèbre formule de Jacques Séguéla — « Moins de tests, plus de testicules ! » — est-elle toujours valable ?
Oui, l’excès de normes finit par tuer la créativité. Mais notre parti-pris avec IM est précisément de pousser la créativité plutôt que de la restreindre. Ce que nous disent les sciences cognitives, c’est qu’une communication doit réunir trois conditions essentielles pour être efficace : elle doit produire de
l’émotion, de l’émergence et de la différenciation. C’est sur ces points que nous aidons les marques, en leur donnant une évaluation de la performance de leurs communications sur ces trois composants
et les clés pour optimiser celle-ci, grâce à une quarantaine de critères. Là où un pré-test classique va mesurer la capacité d’une marque à créer de l’impact, nous nous intéressons nous aux conditions permettant de générer celui-ci. C’est une différence qui me semble vraiment importante…
Ce principe nous donne la possibilité de travailler très en amont, à des stades peu avancés de l’exécution, sur de nombreuses pistes et dans des délais courts. Et d’apporter des recommandations extrêmement opérationnelles. C’est l’addition de ces éléments qui nous permet de sortir de cette logique de test « couperet », et d’intervenir en support à la création.

Une dernière question enfin : quels conseils avez-vous envie de donner aux directeurs de marketing ou de communication ?
Je prêche pour ma paroisse, mais je crois réellement qu’ils auraient beaucoup à gagner à s’approprier les avancées des neurosciences et à s’appuyer sur ces expertises. Tout cela est encore un peu nouveau — la première université des sciences cognitives en France s’est ouverte dans les
années 90 — mais cela apporte vraiment quelque chose de neuf, et une efficacité qui me semble très supérieure aux tests classiques. Avant de dépenser X millions d’euros dans une campagne, avant même de débourser l’argent nécessaire au tournage, ils ont la possibilité de valider s’ils partent sur une bonne idée ou pas, avec la check list des points clés à vérifier. Tout cela dans des délais extrêmement courts, et avec des budgets maîtrisés. Cela vaut le coup d’essayer en tout cas !

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